Ma vie avec Paul

23 Oct

Vous le savez, ici chez Lamotivation on aime bien Pôle Emploi. Mais notre histoire est allée plus loin que quelques mots…

Un homme tient une enveloppe devant son visage

Dans les bureaux

Pôle Emploi est difficilement dissociable de la situation de l’emploi aujourd’hui en France. Ce sont les premiers chez qui on va râler, et c’est un peu le barrage face à la montée des eaux des mécontents de l’emploi.
Bien entendu, on en a parlé ici, que ça soit pour évoquer certaines maladresses ou avec humour sur le tumblr. Mais également pour une candidature, souvenez-vous la lettre à Paul ! Et aussi étrange que cela puisse être, c’est cette dernière qui m’a permis de trouver un emploi il y a quelques années, lors de la création de Lamotivation.fr. C’est cette histoire que je vais vous raconter aujourd’hui. L’article sera nécessairement moins amusant et plus long qu’à l’ordinaire, mais promis je n’en ferai pas beaucoup des comme ça !

Or donc, à la rentrée cette année là, je continuais le blog en commençant à faire des plans fumeux pour des demandes toujours plus originales comme celle de Coca. Le téléphone sonne, c’est Paul. La direction régionale qui me dit qu’ils ont vu ce que je faisais sur internet, reçu ma lettre, et qu’ils aimeraient me rencontrer, assez rapidement.
J’y suis allé sans rien attendre, en me disant juste que ça allait être une discussion intéressante. La responsable qui m’a reçue a commencé par être méfiante vis à vis de la démarche, et puis nous avons bien échangé autour de tout ça, le marché de l’emploi, ma propre façon d’aborder les choses. Et à l’issu, elle m’a proposé un CDD de 7 mois comme Conseiller à l’Emploi chez Pôle Emploi. Passer de l’autre coté de la barrière ? l’idée était passionnante, j’ai accepté !

Et ce fut probablement l’expérience professionnelle la plus enrichissante de mon parcours.

Les débuts et le quotidien

Je suis arrivé un peu la fleur au fusil, sans vrais aprioris, dans la mesure où j’avais tout à apprendre. Au bout de trois jours, j’étais déjà impressionné. Impressionné par mes collègues, que je voyais comme des héros du quotidien. C’est loin d’être un métier facile, mais la plupart des gens que j’ai pu croiser à ce poste étaient des trésors d’humanité. On s’en rend assez peu compte lors des entretiens chronométrés de l’autre coté du bureau…
Alors quel est le quotidien d’un Conseiller à l’Emploi débutant ? Et bien, nous étions deux nouveaux arrivés, avec des tâches assez similaires. Je passe sur la formation, que nous avons eu, sur les us et coutumes de la maison, comment gérer telle ou telle situation etc. Plusieurs dizaines d’heures tout de même.
Pour le reste, les agents sont en gros spécialisés dans deux grands domaines : le placement, c’est à dire la recherche d’emploi, ou l’indemnisation, c’est à dire l’indemnisation (suivez hein !)
Nous avons plutôt été axés indemnisation puisque notre agence manquait d’agents pour cette tâche. Bien sûr, ne montez pas sur vos grands poneys tout de suite, on ne confie pas aux débutants le pouvoir sur l’indemnisation réelle des gens ! Mais pour que cette dernière se fasse il y a tout un processus.

Un homme montre l'enseigne pôle emploi

Dernier mois devant l’enseigne bien connue !

 

Donc mon quotidien de débutant, c’est de faire de l’accueil la moitié de la journée, et traiter les dossiers le restant de la journée.
L’accueil, vous savez déjà ce que c’est, ce sont les gens qui sont au milieu de la tempête, vaillamment derrière leur console d’accueil, et qui sont en première ligne face aux demandeurs d’emploi.
À ce poste, il n’y a pas de miracle, il faut de la patience, de l’écoute, et savoir gérer les rapports humains. On voit passer absolument tout, et c’est vraiment très formateur. Du cadre qui ne va rester sans emploi qu’une semaine ou deux mais fait la démarche, à la mère de famille perdue et ses 3 enfants en passant par le jeune qui se croit sans avenir, le post-étudiant saoulé d’être là, le père célibataire à la fois trop vieux et pas assez, ainsi que d’autres profils particuliers.
La plupart du temps, étant dans une agence relativement calme, ça se passait bien. Il faut un peu avoir l’oeil sur tout, les gens qui galèrent sur les ordinateurs, ceux qui attendent leur rdv, ceux qui deviennent fous en attendant leur rdv, ceux qui sont au téléphone avec le serveur Pôle Emploi (3949) etc.

Le gros avantage-joker dans cette situation, c’est l’entraide. La cheffe de service est juste derrière dans son bureau en cas de besoin, et on peut aller demander une info à l’un ou l’autre collègue qui va répondre de bon cœur. Et ça, c’était primordial dans l’agence où j’étais, l’entraide. Accepter qu’on ne sait pas tout, demander conseil, et se serrer les coudes. J’y reviendrai.

La gestion des dossiers ensuite, imaginez-vous que quand votre dossier ne va pas assez vite, et bien il y a des gens qui s’en occupent quand même à longueur de journée. Et je peux vous garantir que ça ne se tourne pas les pouces. Le défi de mon agence, c’était de réussir à traiter les dossiers reçus en 3 jours maximum, on était en arrivant à une semaine garantie. C’est pas énorme ! Le temps que le courrier arrive, qu’il soit trié, traité par l’agent, notifié, renvoyé, en moins de 3 jours. Belle performance !
Pour les dossiers, il y a ce fameux formulaire à cases qu’il faut cocher ou remplir. Certains oublis… on fait passer le dossier quand même. D’autres sont vraiment bloquants. Soyez gentils avec vos agents Pôle Emploi, ils ont le pouvoir de faire passer votre dossier même s’il manque une case à cocher. Ennuyez-les, et ils vont appliquer strictement les consignes à la lettre et vous allez perdre encore plus de temps. N’oubliez pas que leur intérêt, c’est de se débarrasser de vous le plus vite possible, et pas de vous voir débarquer en colère à l’accueil ! Soyez gentils avec les gens derrière un comptoir de manière générale les amis, c’est une idée qui se perd.

Bref, je digresse ! Donc on regarde le dossier, on étudie les attestation de travail en vérifiant que tout est correct dessus, et ce n’est pas une mince affaire. Paperasserie à la française, c’est long et complexe mais on s’en sort. Pour les attestations, quand ça ne va pas, c’est surtout parce que l’employeur a fait n’importe quoi… Notez avant de critiquer, je vous vois venir, que depuis quelques années Pôle Emploi se bat pour que tout ça soit simplifié, notamment à travers des procédures numériques plus rapides et automatisés. Cela simplifie la vie à la fois des demandeurs, des employeurs, et des gens qui traitent le dossier. Moins de paperasse, plus de rapidité de traitement, moins de temps perdu et d’énergie pour vous. Ah oui par contre, pour frauder c’est moins pratique !

Humanité

Avant Pôle Emploi, j’avais expérimenté pas mal de boulots. J’ai ramassé des pommes l’été, j’ai géré des enfants en centre de loisirs ou en classe de découverte, j’ai travaillé dans un parc archéologique, j’ai travaillé dans une agence Web. J’ai été payé bien plus que chez Pôle Emploi, avec des travaux souvent mieux considérés, des environnements parfois plus faciles. Mais c’est chez Pôle Emploi que j’ai le trouvé le plus de qualités humaines, de la part des collègues comme des responsables. Bien sûr, les choses peuvent varier selon les agences, mais c’était particulièrement visible sur celle-ci.

Dernier jour d’accueil !

Incroyable cet endroit où tu peux déranger un collègue quasiment n’importe quand pour lui demander un conseil sur quelque chose que tu ne connais pas. Et où tu acceptes de te faire déranger en plein travail pour la même raison. Où chacun échange ses petites histoires pendant les pauses, parce qu’on a tous besoin de dire ce qu’on a pas pu dire en face du demandeur d’emploi. Parfois c’est pour râler de son attitude, souvent c’est pour regretter de n’avoir pas eu les moyens de faire mieux. Et de temps en temps, un collègue a une idée, un plan, pour aider à effacer les regrets.

Pôle Emploi c’est un endroit terrible. C’est le premier recruteur d’Île de France, c’est dire si le chômage progresse, et les tentatives d’y faire face également. Beaucoup de turnover dans certaines agences sensibles où personne ne veut rester parce que les demandeurs d’emploi sont très loin dans l’irrespect.
Dans mon agence, presque tout le monde faisait des heures supplémentaires, même si c’était plus ou moins interdit. Il y a une obligation de rendement, toujours moins de temps avec les demandeurs d’emploi pour des agents toujours plus surchargés. Mais cela permet de dire du coté des politiques qu’officiellement les gens sont pris en charge. En réalité, la plupart de ceux qui ont fait des études et savent parler et écrire français ne seront pas aidés par Pôle Emploi, car ceux-là sont ceux qui en ont le moins besoin. Malheureusement pour Paul, ce sont aussi ceux qui en parlent le mieux, et donc en mal.

Alors le conseiller travaille vaillamment, malgré les critiques, pour un salaire minimum. Pour dire, c’est le salaire le plus bas que j’ai eu de toute ma vie pour un temps plein ! Et les demandeurs d’emploi sont souvent sans pitié. La moindre erreur, la moindre indécision, ou quelque chose que le conseiller ne connaît pas, et c’est l’allumage ! Il faudrait connaître l’intégralité des métiers, des filières, des logiciels, des employeurs, des systèmes d’indemnisation, des formations… autant dire que c’est impossible ! Et les demandeurs ont bien du mal à l’accepter.

Et à la pause de midi, nous écoutions, nous les jeunes recrues, les histoires des anciens. Celles où ils parlent d’un temps révolu, presque légendaire, où les demandeurs d’emploi venaient s’asseoir dans la salle commune, et attendaient. Le téléphone sonnait chez le Conseiller, et il sortait dans la salle commune avec un post-it en demandant s’il y avait un mécanicien. Sur le post-it, le contact de l’employeur, et le lendemain le mécanicien qui attendait dans la salle avait du travail. Incroyable histoire !

Notre réalité est bien différente. « Aider à retrouver un emploi, mais ne pas le trouver pour eux » c’est la devise de Pôle Emploi. Imaginez le job, vous avez un être humain qui arrive dans votre bureau, la situation n’est pas à son avantage. Là, vous avez moins de 45mn pour lui trouver des solutions ou des idées, en ayant eu à peine 2mn pour consulter son dossier Pôle Emploi. C’est un peu comme du speed dating, en moins amusant. La mécanique est bien huilée, et on enchaîne toute la journée. Dans les bureaux, plusieurs dizaines de dossiers à trier chaque jour pour tâcher d’accompagner les gens qui galèrent le plus vite possible. Toujours cet enjeu d’accompagner les gens au mieux de ce qu’on nous laisse faire.

Et, derrière le bureau, le conseiller est en fait comme le demandeur d’emploi. Il essaie de faire de son mieux dans un système qui veut faire du chiffre pour faire parler les politiciens. Et quelque part… il y arrive ! J’ai vu des milliers de gens retrouver du travail, être indemnisés, ou à qui on donne les moyens de monter leur société, d’avoir la formation pour leur permettre d’avancer. Des milliers ! C’est pas si mal en quelques mois ! Bien sûr, comme je disais ce sont ceux qui en parlent le moins qui en bénéficient le plus. Des gens qui veulent travailler et sont motivés, mais qui peinent à s’organiser.

Et croyez-moi, personne ne profite du système. C’est une idée reçue.

Et au delà de ça, au delà de l’enjeu, au delà des demandeurs, au delà des contraintes toujours plus importantes, toujours cette humanité avec ses collègues. Le hasard de la vie a fait que ma binôme, arrivée en même temps que moi, a perdu un être cher à un moment. Dans ce genre de cas, impossible de faire l’accueil, c’est un poste où il faut être solide. Ma binôme pourtant est quelqu’un qui l’est naturellement, le genre de personne dont la vie n’a pas été facile mais qui a toujours relevé la tête, avec un sourire et une force puisée on ne sait où pour aller de l’avant. Mais à l’accueil, ça ne suffit pas toujours. Et bien naturellement, j’ai proposé de faire les siens, d’autres collègues ont un peu réduit sa charge ailleurs, et fait faire des travaux où elle ne restait pas seule. Jusqu’à ce qu’elle aille mieux. Personne ne s’est jamais plaint, tout le monde l’a fait de bon cœur, sans jamais lui en vouloir, sans jamais râler.
Quelques mois après, c’est moi qui me suis retrouvé dans une situation morale délicate. Le genre qui donne envie de se rouler en boule dans un coin et de ne plus en bouger. Et bien mes collègues ont pris mes accueils, et se sont débrouillés pour me laisser des tâches plus mécanique dans mon coin, parce que je préférais. Et en venant vérifier de temps en temps si ça allait, avec plein de petites attentions.
Incroyable, quand on y pense, cette espèce de solidarité naturelle. Incroyablement touchant, et ce sont des souvenirs précieux.

Souvenirs…

Quelques souvenirs de demandeurs d’emploi qui ont pu me toucher, d’une manière ou d’une autre, manière de vous montrer le genre de situation que l’on peut rencontrer.

  • La jeune créatrice talentueuse, poussée par sa famille à prendre un travail ennuyeux et sécurisant dans l’administration. Complètement saoulée d’être chez Pôle Emploi, une forme d’échec pour elle.
    Elle avait besoin qu’on lui dise de tenter le coup. D’y croire, qu’elle n’avait rien à perdre. Elle a rapidement trouvé un boulot dans sa branche, où elle a pu exercer son art et s’épanouir. À ma connaissance elle y est encore.
  • Le graphiste en post-études un peu perdu, qui avait juste besoin d’un sourire, et qu’on lui dise que là, il était sur la bonne voie et que ça allait aller tout seul. Le conforter dans sa démarche et être positif. Il a trouvé du travail dans les deux semaines.
  • Le sans-abri en plein hiver qui vient chercher refuge dans la salle d’attente parce qu’il sait qu’on ne peut lui refuser l’entrée et qu’il sera un peu au chaud.
  • La mère célibataire en fin de droit, avec ses trois jeunes enfants, qui fond en larmes devant le bureau parce qu’elle ne sait plus quoi faire, et qu’elle se sent littéralement au bout de sa vie.
  • Le cinquantenaire en procédure prud’homale pour des incorrections de son employeur. Coincé pendant deux ans, sans ressources, sans perspective de retrouver un emploi, et qui pleure au moment où il s’en rend compte.
  • Le jeune en échec scolaire, venant de cité, s’estimant sans avenir et avec un système trop compliqué pour lui, qui ne sait exprimer son désespoir qu’en prenant une chaise pour en menacer l’agent d’accueil.
  • Cet homme au sourire incroyable, sortant de prison pour des faits assez graves, déterminé à rebâtir sa vie. Une détermination dans ses yeux, une gentillesse dans son attitude, il y croit et il se bat.

J’en ai beaucoup d’autres des comme ça. Les deux premiers m’ont énormément marqués, parce que ce sont les seuls que j’ai vu moi en entretien individuel, leur conseillère ayant estimé que je saurais mieux leur parler et que je connaissais mieux leurs métiers.

On ne pousse jamais la porte de Pôle Emploi indifférent. J’ai vu des gens entrer en colère, au fond du trou, formalistes, plein d’espoirs, curieux, saoulés… des milliers de gens sont passés devant mon accueil, des milliers de vies venues chercher quelque chose. Une expérience incroyable.

Cet article étant déjà un peu long, je vais le conclure ici. Il est assez décousu, il faudra m’en excuser, c’est une expérience encore vive chez moi, que je vois avec beaucoup de cœur et une image très positive. Cela fait quelques années maintenant, mais j’en garde le même avis de mon premier jour après cette expérience à aujourd’hui ! J’en ferai un autre amusant sur les 10 ou 20 choses à faire chez Pôle Emploi. Régulièrement encore, je défends les gens qui crachent abusivement sur Pôle Emploi et ses conseillers sur les réseaux sociaux.

Tout n’est pas rose, d’un coté comme de l’autre du bureau, mais quand tout le monde fait de son mieux, et tâche de progresser, alors finalement, les choses avancent. Et c’est ce que tout le monde cherche en venant chez Pôle Emploi : avancer.

Je tiens encore une fois à remercier mes anciens collègues pour ces moments, , certains liront cela car nous sommes encore en contact. Pour cette expérience vraiment incroyable, et cette humanité au quotidien. Depuis ils ont dû en aider des gens ! Je serais curieux de voir les chiffres réels de l’action de Pôle Emploi, mais croyez-moi, les gens là-bas veillent dans l’ombre…

Au programme des prochains articles, mon expérience d’indépendant et quelques consignes pour s’en sortir chez Pôle Emploi, d’ici là restez motivés !

Images : mes derniers jours dans les locaux de Pôle Emploi, des memes finement détournés par mes soins, et un détournement de batman pour la dernière.

Aucun commentaire

Laisser un commentaire